Interview | Gustavo Santaolalla (Compositeur des musiques de The Last Of Us)
Découvrez dès maintenant la retranscription écrite de notre interview accordée à Gustavo Santaolalla, le compositeur des musiques de la licence The Last Of Us, aussi bien dans les jeux vidéo que dans la série HBO.
La semaine dernière, l’équipe de Naughty Dog Mag’ a eu la chance d’interviewer Gustavo Santaolalla, le compositeur des musiques de The Last Of Us. Un moment privilégié de près d’une heure, au cours de laquelle notre équipe a pu lui poser de nombreuses questions autour de sa carrière et de ses travaux sur les jeux et la série The Last Of Us.
Pour conclure parfaitement cette semaine du The Last Of Us Day 2025, et dans le cadre de la tournée Ronroco Tour 2025 de Gustavo Santaolalla qui débutera le 19 octobre prochain à Paris (les dernières places sont encore disponibles), nous sommes heureux et fiers de vous proposer cet échange. Le compositeur argentin revient sur l’ensemble de sa carrière, en parlant de ses nombreux succès, de The Last Of Us bien sûr, en passant par les autres succès de son incroyable catalogue.
Nous espérons que l’interview vous plaira.
NDM’ : L’interview a commencé par des remerciements particuliers envers Gustavo, car sa musique et son oeuvre est définitivement ancrée dans la pop culture et fait désormais partie du quotidien de nombreux fans de The Last Of Us qui écoutent la bande originale du jeu chaque semaine, voire peut-être même chaque jour depuis la sortie du premier jeu en 2013.
Gustavo : Eh bien merci, car vous savez j’ai vraiment eu l’immense chance de travailler sur de merveilleux projets dans ma vie et j’ai aussi eu la chance d’être reconnu pour mon travail, même si je n’ai jamais rien fait de particulier pour m’enrichir ou obtenir des récompenses. Bien sûr ça me fait plaisir d’avoir gagné cet argent, car ça m’a permis entre autres d’envoyer mes enfants dans de meilleures écoles et, bien entendu j’apprécie avoir été récompensé, car ça me connecte avec le public et mes collègues, mais je n’ai jamais forcé les choses, j’ai juste eu beaucoup de chance de travailler dans de magnifiques projets.
Mais après toute cette reconnaissance, les Grammys, les BAFTAs et les Oscars, j’étais arrivé à un point où je me sentais… Accompli, vous voyez ce que je veux dire ?
Et puis arriva The Last Of Us, qui m’a ouvert la porte à un tout nouveau public et c’est l’une des choses que j’aime le plus dans ma relation avec The Last Of Us : elle m’ouvre à un public qui ne connaissait rien de moi en tant qu’artiste, de mon groupe Bajofondo, de moi en tant que producteurs avec les plus de 100 albums de musique alternative que j’ai produite, ou même mes compositions dans les films.
C’était un public, dont vous faites probablement partie, qui n’avait jamais entendu parler de moi et, tout à coup j’ai établi ce lien extrêmement fort, et c’est l’une des choses que j’apprécie le plus avec The Last Of Us Part II : la connexion avec le public est incroyablement forte émotionnellement.
Ce qui s’est passé aussi c’est que… Je ne suis pas un joueur, vous savez, je suis nul. Mais j’ai un fils qui était très bon et, quand j’ai commencé à travailler sur le jeu il y a 10 ans, lui était en pleine adolescence. Il était très bon et j’aimais beaucoup le regarder jouer, j’aimais regarder d’autres personnes jouer de manière générale. Par exemple, dans mon groupe, je regardais les autres jouer à FIFA comme si je regardais un vrai match de foot. Et donc, je regardais mon fils jouer et je me suis toujours dit que, si, un jour, quelqu’un arrivait à créer une connexion sur le plan émotionnel avec le joueur, ce serait une révolution, au-delà des combats, du côté survie et tout ce côté acrobatique qui peut être très fun, bien sûr.
Et donc, après les Oscars, plusieurs compagnies m’ont contacté, certaines vraiment grandes avec de gros projets, mais c’était toujours plus ou moins la même chose. Et je savais ce que je voulais et j’ai toujours été très sélectif sur les projets sur lesquels je travaille. Donc j’ai attendu et attendu, et là, Neil [Druckman] est arrivé et il m’a dit « c’est exactement ce que je veux faire, je veux faire un jeu qui touche le joueur sur le plan émotionnel ».
Puis il m’a raconté l’histoire, et j’ai dit « je suis partant ».
Et nous avons eu la confirmation quand nous avons appris que des gens pleuraient en y jouant, qu’ils ont été submergés par les émotions. Et pour moi ça a vraiment été un cadeau à ce moment-là dans ma vie d’avoir l’occasion de travailler sur une telle œuvre. Puis, après les deux jeux, il y a eu la série qui a elle aussi été accueillie par un nouveau public, mais aussi par les fans du jeu. C’était fantastique, et pour moi c’est un projet qui a une place vraiment très particulière dans ma vie.
NDM’ : C’est merveilleux, c’est assez incroyable et merci parce que votre musique est une partie du jeu, c’est très très important pour l’expérience, donc merci. Avant de parler de The Last Of Us, je vais commencer par le commencement, qu’est ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la musique ? Quel est votre premier souvenir lié à la musique ?
Gustavo : Oui. Eh bien, mes parents… n’étaient pas musiciens. Mon père travaillait dans la publicité et ma mère était femme au foyer, mais ils étaient de grands amateurs de musique. Mes parents achetaient beaucoup de disques, donc, depuis mon plus jeune âge j’ai grandi en écoutant des tonnes et des tonnes de CDs et, toutes les semaines, mon père ramenait un nouveau CD, vous voyez.
Et j’ai donc grandi en écoutant toutes sortes de musiques, et c’était fantastique. Donc ce n’était pas aussi « segmenté », chez moi, on n’a pas juste écouté exclusivement du Jazz, ou du Classique, on écoutait de tout. De la musique d’Argentine, bien sûr, comme le Tango et de la musique folklorique, mais aussi de la musique d’Amérique du Nord, comme le Jazz, le Foxtrot, Les Paul & Mary Ford, Frank Sinatra, ou de grands groupes et de la musique classique aussi, donc voilà, c’était très varié.
Et puis, j’ai commencé à apprendre à jouer de la guitare à cinq ans. Une des grandes frustrations dans la vie de ma mère était qu’elle a toujours voulu apprendre à en jouer, mais n’en a jamais eu l’occasion. Ils n’en avaient peut-être pas les moyens ou ses parents n’ont pas compris à quel point cela comptait pour elle, bref.
Plusieurs signes montraient une certaine prédisposition. J’ai une photo de moi à cinq ans, ou même un peu avant : j’étais en maternelle, et je dirigeais mes petits camarades comme un chef d’orchestre avec sa troupe. Et ma mère me racontait qu’à ce moment-là, une dame s’est approchée d’elle et lui aurait dit : « vous devriez cultiver cela. Ce petit a la musique dans la peau. Vous devriez vraiment lui apprendre la musique, il a ça en lui ».
Et quand j’ai commencé à jouer de la guitare à cinq ans, j’ai immédiatement senti une profonde connexion spirituelle avec la musique. J’ai eu un apprentissage traditionnel entre 5 et 10 ans. Je n’ai jamais fait de solfège, j’apprenais vite à jouer, j’apprenais par la mémoire, mais je n’ai jamais appris à lire une partition, encore aujourd’hui, je ne sais ni lire ni écrire une partition.
Puis à mes 10 ans, mon professeur de musique a démissionné. Nous nous disputions souvent, car je faisais semblant de lire la partition alors qu’en fait je jouais de tête. Donc, elle cachait une partie de la partition et me demandait de jouer à partir de là. Et je n’y arrivais pas et je devais recommencer depuis le début. Et ça a duré ainsi pendant quelques années, puis, un jour, elle a dit : « son oreille est plus forte que ma musique. Donc, je m’en vais ».
Et c’est donc à partir de là que j’ai commencé à écrire mes premiers morceaux. J’ai d’abord eu un groupe de musique folklorique à 10 ans. Puis à 12 ans mes parents m’ont acheté une guitare électrique, et à mes 13 ans, les Beatles ont émergé et voilà. J’ai su à ce moment-là ce que je voulais faire.
J’étais plutôt bon élève à l’école et mes parents me soutenaient beaucoup concernant la musique, mais ils pensaient juste que c’était un bon hobby pour moi, ils ne pensaient pas que j’allais dédier ma vie à ça. Donc, quand j’ai terminé le lycée, même si j’étais bon élève encore une fois, ça a été très difficile avec mes parents. Mais ils ont finalement vu que c’était ce que je voulais faire et aussi ils ont pu constater que je réussissais là-dedans, que j’avais réussi à en faire quelque chose, donc au final, ça s’est bien goupillé. Donc voilà dans les grandes lignes mes débuts dans la musique.
NDM’ : Et cela nous offre une magnifique carrière, une longue et magnifique carrière. Dans votre Ronroco Tour, nous avons le plaisir de découvrir la musique de The Last Of Us mais aussi l’intégralité de votre carrière …?
Gustavo : Oui, entre autres, car… Quand j’ai commencé avec mon groupe, j’ai signé avec RCA quand j’avais 17 ans et j’ai débuté ma carrière professionnelle en tant qu’artiste, mais aussi en tant que producteur, car ils ne produisaient pas de musique alternative, je ne pense même pas que le terme de « musique alternative » existait, mais c’était mon métier. J’ai toujours été très intéressé par le concept d’identité et de représenter qui je suis et d’où je viens, et c’est pourquoi avec mon groupe, qui était à l’époque un groupe de rock, j’ai commencé à fusionner le rock avec des instruments traditionnels et des percussions de folk argentin et d’Amérique latine, et j’ai été très critiqué par l’intelligentsia qui déclarait que ce n’était pas du rock.
Et donc, dans cette démarche, j’ai commencé à jouer d’un instrument appelé le charango, qui vient de la cordillère des Andes, et qui était d’ailleurs très populaire en France dans les années 60. Il y avait un grand groupe là-bas nommé Urubamba, dirigé par un argentin qui s’appelait Jorge Milchberg qui a même fini par enregistrer avec Paul Simon, et il utilisait ces sonorités, le charango, tout ça.
Donc j’ai utilisé le charango dans beaucoup de choses, mais des années plus tard, je devais avoir la trentaine… Je vivais déjà aux États-Unis, mais, chaque fois que je rentrais en Argentine j’allais dans un magasin de musique pour voir s’ils avaient de nouveaux instruments, et j’ai vu un charango, bien que celui-ci était plus grand. Je l’ai attrapé, j’ai commencé à jouer et j’ai senti une connexion avec cet instrument, j’ai eu une épiphanie, et en fait c’était un ronroco.
Et le ronroco, même s’il est très similaire au charango, diffère quand même beaucoup de ce dernier. Il a une plus longue tenue, a un registre totalement différent, et il ne se comporte pas comme un charango. Donc j’ai commencé à composer de la musique qui ne ressemblait pas vraiment à de la musique originaire de la cordillère des Andes, c’était ma musique.
Et parfois, les musiques que je compose au ronroco évoquent des sonorités de la cordillère des Andes, mais c’est très rare, et parfois elles rappellent des musiques d’Europe, d’Afrique, d’Asie…
C’était vraiment après des années de sessions d’enregistrement, une chose en entraînant une autre que j’ai été appelé pour produire un album de compilation d’un grand joueur de charango, l’un des meilleurs au monde : Jaime Torres, que je regardais à la TV quand j’étais gamin. J’ai créé une compilation et j’ai rencontré le bonhomme et je dis toujours quand je dois expliquer qui était Jaime Torres que c’était « le Ravi Shankar du charango », un maître de ce genre d’instruments.
Je voulais lui montrer ce que j’avais fait, mais à l’époque j’étais très peu sûr de moi, car j’avais une technique totalement différente, il se laissait pousser les ongles et jouait beaucoup en arpège, et ce que je faisais n’était pas vraiment de la musique…
Et après quelques semaines passées avec lui… Des années après nous sommes devenus comme des frères, mais à cette époque-là, je le considérais encore comme un maître… Donc, après quelques semaines passées avec lui, je lui ai dit : « Jaime, voici ce que des amis à moi font » et je lui donne l’enregistrement… Trois jours plus tard, il m’appelle et me dit : « c’est toi qui joues là, n’essaie pas de me berner. Je sais que c’est toi qui joues et tu devrais le faire découvrir au monde. »
Et je lui ai dit que je ne savais pas s’il allait aimer parce que j’ai une technique différente de la sienne et il me dit : « il n’y a pas de règles. C’est toi qui trouves l’esprit de l’instrument. Tu devrais faire un album ». Donc, sur ces conseils, j’ai enregistré de nouveaux morceaux et j’ai compilé les enregistrements de 13 ans de ma vie. Pour moi c’était quelque chose de très personnel et donc j’ai sorti un album appelé Ronroco, mais je ne pouvais pas faire la promo de mon album parce qu’à l’époque j’étais en contrat avec Universal/Surco, un label de musique alternative d’Amérique latine, et j’enregistrais pour eux sur un projet totalement différent.
Je ne pouvais pas promouvoir mon album, mais ils ont commencé à jouer mon album dans des radios universitaires parce qu’ils aimaient, je suppose ? Et un jour je reçois un appel me disant que Mchael Mann voulait utiliser un de mes morceaux dans son film Insider, avec Al Pacino et Russell Crowe. Et quand j’ai appris que c’était un film contemporain, je n’étais pas très sûr… J’ai rencontré Michael et il m’a montré la scène en question, c’était une scène de deux minutes avec de la musique, sans aucun dialogue, c’était un moment charnière du film, et je me suis dit « Mais ça marche incroyablement bien ! ». J’ai toujours aimé le cinéma au passage, j’ai voulu en faire des études, mais je n’ai pas pu…
Et en parallèle à ça, un ami commun à moi et Alejandro Inarritu (réalisateur) a commencé à dire à Alejandro : « tu sais, Gustavo devrait composer la musique de tes films » et, en même temps me disait à moi : « il y a un nouveau réalisateur au Mexique, il réalise un nouveau film » et c’était Amours Chiennes (Amores Perros). Et c’est comme ça que j’ai commencé à bosser sur Amours Chiennes ce qui m’a ensuite ouvert la voie à Walter Salles pour Carnets de Voyage (Motorcycle Diaries).
Et dans tout ça, j’utilisais le ronroco. Dans Amours Chiennes c’était du ronroco, dans Carnets de Voyage c’était du ronroco et, jusqu’à aujourd’hui avec The Last Of Us, le thème principal de TLOU, je l’ai fais au ronroco.
Je n’ai jamais fait de tournées avec une ambiance pareille, j’ai joué des morceaux au ronroco dans mes concerts, mais ceux-ci étaient plutôt un pot-pourri de mes musiques d’albums, de mes musiques de film, dont certaines avec du ronroco. Mais vu que l’album avait maintenant plus de 20 ans, qu’il était temps de faire des choses autour de cet instrument. Nous avons donc re-ressorti l’album sur un vinyle de plus de 180 grammes pour une meilleure qualité audio. J’ai fait une version digitale de l’instrument avec Spitfire, qui est une entreprise géniale qui fait des banques d’instruments, vous pouvez donc maintenant avoir le ronroco sur un synthé.
J’ai inventé un instrument hybride entre un ronroco et une guitare électrique et nous avons créé un prototype avec Fender. J’ai créé un parfum qui sortira en décembre, dont l’odeur est basée sur le bois utilisé sur cet instrument. Et je me suis enfin décidé à faire une tournée avec des morceaux de mon album Ronroco, mais aussi certains de Carnets de Voyage, de Babel, mais aussi des musiques de The Last Of Us. J’ai fait cette tournée l’année dernière, j’ai joué dans 10 villes en Europe et c’était tellement bien. Et c’était aussi un challenge pour moi, car je ne savais pas ce qui allait se passer. Mais ça a vraiment créé un moment spécial, et dans le monde dans lequel nous vivons, par les temps qui courent, je pense que ce spectacle tient une place particulière dans mon cœur. J’espère que vous pourrez y assister afin que vous puissiez constater ce que j’essaie de vous dire, mais c’est très spécial, très fort émotionnellement, très paisible et très différent de tout ce que j’ai fait par le passé.
Et j’ai hâte que vous puissiez le voir. J’ai joué au Bataclan il y a deux ou trois ans…
NDM’ : « Oui, j’étais présent » (rires)
Gustavo : « Tu y étais ? »
NDM’ : « Oui ! J’ai une photo, parce qu’à la fin du spectacle nous nous sommes rencontrés… »
Gustavo : J’allais le dire ! J’allais justement dire que ton visage m’était familier…
NDM’ : « Oui oui, je vous ai vu à la fin du spectacle et le concert était fantastique, et j’ai tellement hâte de voir votre prochain spectacle… »
Gustavo : Oh c’est tellement bien ! Je suis content que tu puisses y assister, car ma carrière et tellement… Éclectique, j’ai fait tellement de choses, et je fais toujours tellement de choses, j’écris un ballet et bien d’autres choses, donc je trouve ça super que tu aies eu l’occasion de voir toute la variété présente dans ce premier concert et que, maintenant tu puisses plonger encore plus profondément dans une facette particulière de moi. Et j’ai aussi une merveilleuse troupe qui m’accompagne, de formidables musiciens, beaucoup plus acoustiques… Mais j’ai tellement hâte, j’ai passé un incroyable et mémorable moment au Bataclan. Je ne l’oublierai jamais, c’était incroyable.
NDM’ : Comment avez-vous rencontré Neil Druckmann et l’équipe de Naughty Dog ? Et comment ce projet a t-il commencé ?
Gustavo : Il faut savoir qu’à l’époque, Neil me racontait toujours cette histoire parce qu’il voulait que je fasse sa musique, c’était un grand fan de mon travail au cinéma. Et il était convaincu j’imagine, que je pouvais faire vibrer la corde sensible d’une façon peut-être différente des compositeurs plus conventionnels, qui font eux aussi de merveilleuses choses, mais d’une façon différente de la mienne, d’une manière plus minimaliste ou que sais-je. Et quand il a suggéré mon nom à Naughty Dog et PlayStation, ils ont dit « non, ça ne marchera pas, il a deux oscars, les jeux vidéos ne l’intéresseront pas ».
Et je ne suis pas comme ça, tu sais, les choses intéressantes m’intéressent. Je peux aussi m’intéresser à un court métrage, peu importe. Si c’est quelque chose qui résonne en moi ou qui me touche. Et ça, en particulier, c’est quelque chose que j’attendais, je t’ai raconté l’histoire. Si quelqu’un arrive avec une idée et que nous sommes sur la même longueur d’onde, eh bien là c’était un cadeau tombé du ciel. Et ce qui est marrant c’est qu’ils ont failli ne pas m’appeler parce qu’ils pensaient que j’allais tout simplement refuser
NDM’ : Avez-vous une anecdote drôle ou insolite sur la création des musiques de The Last Of Us ? Ou un moment spécial avec Neil Druckmann ?
Gustavo : Avec Neil ?
NDM’ : “Oui avec Neil”
Gustavo : Oui oui, avec Neil nous avons fait quelque chose que vous pouvez trouver sur ma chaîne Youtube, un format qui s’appelle CheCHAT, qui est une série de vidéos courtes où nous discutons de la vie avec Neil, de son enfance vu qu’il a grandi en Israël, de tas de choses sur sa vie, son chien, et l’une des choses sympas à ce propos est que c’était la première fois, à la fin de cette conversation, je l’ai invité et je lui ai appris à jouer le thème de The Last Of Us. Et la vidéo que j’ai tournée avec Fender, que je vous conseille de regarder, où j’avais ma guitare que j’ai baptisée la guitarocko, je l’ai invité et nous avons joué ensemble. J’ai joué avec ce nouvel instrument et il m’a accompagné à la guitare. C’était un superbe moment. Tapez mon nom et Fender et la vidéo apparaîtra, elle est dispo sur Youtube.
NDM’ : Ma chanson préférée de The Last Of Us est « All Gone – No Escape », c’est pour moi l’un des plus belles musiques de l’industrie du jeu vidéo. Quelle est votre musique préférée de The Last Of Us et pourquoi ?
Gustavo : Eh bien… Je ne le dis jamais car pour moi toutes mes chansons sont mes bébés tu vois ? Ce serait comme me demander quel est mon enfant préféré. Ils sont tous beaux chacun à leur façon. Mais je dois dire que “All Gone” est un morceau qui résonne en moi de manière très puissante, comme le thème principal mais aussi comme tous les autres thèmes en fait, comme ce que j’ai fais avec la sorte de guitare basse à six cordes. Beaucoup de ces choses sont géniales aussi et m’ont touché. Ce que j’ai aimé avec All Gone c’est la simplicité de la mélodie, ça fait :
*chantonne*
C’est si simple, tu n’as pas besoin de plus de notes… D’ailleurs la première fois, la façon dont je l’ai composée dans sa version la plus brute, vous pouvez l’entendre au tout début du jeu, au moment où la fille de Joël meurt. Je l’ai écrite avec une guitare électrique, mais jouée avec l’archet d’un violon, et je faisais rebondir l’archet sur la guitare pour donner ce son très fragile, et c’est aussi à cause de cette contrainte que je ne pouvais pas jouer beaucoup de notes.
C’est ça l’histoire, puis il y a eu une très belle version enregistrée par un orchestre symphonique nordique, et c’est magnifique. Et en y repensant, le fait que je l’ai imaginé dans des sons très bruts puis qu’il se soit développé en un tel morceau, je trouve ça vraiment très beau.
NDM’ : L’atmosphère de The Last Of Us et The Last Of Us Part II est radicalement différente. Et opposée. Quelle soundtrack est-ce que vous préférez, et quelle a été la plus simple à produire ?
Gustavo : Je dirais que le plus facile était pour moi le premier jeu. Pour le deuxième, je devais ajouter plus de choses, et pour cela, je devais faire quelques changements. De plus, tout au long de ma carrière, je… J’ai beaucoup travaillé à l’instinct, je fais beaucoup de choses au feeling que je n’ai rationalisé qu’après-coup, tu vois, je me dis : « Oh, je vois, j’ai fait ça, ça fonctionne maintenant » parce que je l’ai fait depuis tellement d’années. Je peux expliquer beaucoup de choses : la manière dont je gère les erreurs, l’utilisation du bruit, des textures, et je fais ça depuis tellement d’années que c’en est devenu naturel.
Et une chose dont je me suis également rendu compte après-coup, était que… J’ai beaucoup travaillé pour le premier jeu. Bien sûr j’avais la guitare au milieu du spectre, mais aux deux extrêmes, j’avais le ronroco d’un côté et la guitare basse à six cordes de chez Fender de l’autre. D’ailleurs Fender s’est mis à la ressortir, mais à l’origine, cette guitare était apparue dans les années 60. Les Beatles l’ont utilisé, Cream aussi. Aujourd’hui, on a beaucoup de basses à cinq cordes, sept cordes, mais celle-ci est différente. Ce n’est pas une basse avec plus de cordes, celle-ci est une octave plus basse qu’une guitare, ce qui change tout. Et donc, je l’ai beaucoup utilisé pour le premier jeu.
Et… dans la suite, j’ai troqué ça pour une guitare classique, mais équipée de ces mêmes cordes qui font baisser d’une octave. Et j’ai réalisé qu’Ellie était représentée par les sonorités du ronroco, cette part féminine du jeu, plus fragile, plus délicate.
Et ce son de basse, plus grave, c’était ce côté plus masculin, c’était Joël. Ça c’était quelque chose auquel je n’avais pas pensé en composant pour le premier jeu, mais qui m’est apparu bien plus clairement dans sa suite. J’ai aussi introduit le banjo et une chose que j’ai aussi beaucoup appréciés de la part de Neil, c’est qu’il me donnait carte blanche dans mon travail.
Et quand j’ai pensé au banjo — parce que je ne joue pas de banjo, et je ne prétends pas l’être — mais je me suis dit que je pouvais utiliser des instruments qui ne sont pas mes instruments, mais en y apportant un twist. Et je pense qu’en tant qu’artiste, je peux pouvoir créer quelque chose avec tout ce qu’on me donne. Si on me donne un instrument et que je peux faire n’importe quoi avec, je peux peut-être le casser et enregistrer le son, par exemple. Et j’aime me lancer ce genre de défis.
Donc j’ai apporté le banjo et je me suis dit qu’ils allaient peut-être me dire « non, pas de banjo, c’est trop évident… » Mais, comme je le disais, je ne joue pas de banjo de façon normale, c’est un timbre, une couleur que j’ajoute et qui enrichit le tout pour le deuxième jeu. Donc, en ce sens, ça a été plus élaboré de composer pour le deuxième jeu que pour le premier, qui lui a été plus… « immédiat ».
Pour TLOU 2, nous avions déjà le succès de son prédécesseur sur les épaules, donc c’était à la fois un fardeau, mais aussi un nouveau défi apporté par cette toute nouvelle histoire, ça a été un gros challenge.

NDM’ : Vous avez aussi travaillé sur la soundtrack de la série HBO. Est- ce que le processus créatif est le même qu’un jeu vidéo ?
Gustavo : Eh bien c’est différent parce que la grammaire est différente… Premièrement, on parle toujours de storytelling, il s’agit toujours de raconter une histoire, c’est ce que nous faisons. Et l’une des choses dont nous étions certains était que la musique, les thèmes, la trame sonore, comme Neil et Craig Mazin l’ont dit, faisaient partie intégrante de l’ADN de The Last Of Us.
Je sais que, dans d’autres circonstances, quand ils passent d’un média, d’un support à un autre, comme un jeu, une pièce de théâtre, ou un film qui devient une série, ils changent parfois de thèmes, ils créent de nouvelles musiques, etc… Et, dans notre cas je pense que ça aurait été impossible, car les thèmes sont comme un personnage à part entière. Ça aurait été comme remplacer Ellie par un personnage totalement différent. La musique fait partie de l’histoire, et c’est pour ça qu’on a conservé les thèmes, et je pense que c’était une bonne idée, que ça a aidé à faire le pont entre le jeu vidéo et la série. Donc, le défi était à la fois de conserver les musiques, mais aussi d’en ajouter de nouvelles, tout en nous soumettant à la dynamique et au rythme particulier d’une série TV, qui diffère de celui d’un jeu vidéo.
Donc oui, il y a un processus d’adaptation, mais c’est aussi pour ça que j’ai une équipe, c’est important. J’ai travaillé avec David Fleming, mais aussi avec un autre grand compositeur qui me complétait bien, notamment dans le fait d’adapter mes trucs, mon univers, au côté sériel de la TV.
NDM’ : Est-ce que vous avez déjà eu des discussions à propos de possible création de nouvelles musiques pour de potentiels nouveaux projets The Last Of Us ?
Gustavo : Si je l’avais fais, je ne pourrais pas… Je… Je ne peux pas le dire, tu connais les règles, je ne peux pas parler de ça…
NDM’ : C’est une question piège, c’est un piège. Mais aimeriez-vous travailler à nouveau pour The Last Of Us ?
Gustavo : J’adorerais, ce serait avec grand plaisir ! J’adorerais poursuivre ma relation avec cet univers, et c’est assez cocasse parce que… Depuis la sortie du jeu, puis de la série, dans cette même période, nous avons… vécu une pandémie, nous traversons en ce moment une période assez dystopique et apocalyptique à sa façon. Nous ne nous faisons pas mordre par des gens infectés par un champignon, mais nous sommes dévorés par des gens rongés par la haine et qui peuvent également nous transformer, nous, en des êtres haineux.
Cette histoire peut être vue par certains aspects comme un miroir de notre monde actuel. Et pour moi, c’est un honneur de faire partie de cet univers, et j’aimerais poursuivre cette aventure, car je pense qu’elle résonne très bien avec notre réalité.
NDM’ : On croise les doigts, j’espère voir un autre jeu, d’autres projets, et entendre d’autres musiques. C’est tout pour moi, merci beaucoup pour votre temps, et félicitations pour votre travail, pour votre musique. Pour moi, la musique de The Last Of Us a eu un fort impact dans l’industrie du jeu vidéo et de la pop culture. Comme j’ai pu dire, c’est vraiment une partie de ma vie, parce que, The Last Of Us est sorti il y a 12 ans, depuis plus de 10 ans, j’écoute la musique du jeu, donc c’est une très belle opportunité de vous rencontrer et de vous interviewer, désolé pour mon anglais et ma prononciation !
Gustavo : Ton anglais est très bien !
NDM’ : (rires) merci ! Et merci beaucoup pour ce moment, on se voit le mois prochain à Paris, j’ai très hâte et merci beaucoup !
Gustavo : Merci infiniment pour tes mots, et j’ai vraiment hâte… Tu sais c’est le premier spectacle de ma tournée, donc il y a cette jolie tension du départ, le démarrage, la naissance d’une nouvelle tournée. Je suis vraiment impatient de jouer à nouveau mon spectacle et de voir tout le monde à Paris, de vous jouer ma musique et de vous apporter des vibrations qui je l’espère nous élèverons tous ensemble et nous apporteront la paix à nous et au monde.
Encore un grand merci à Gustavo Santaolalla ainsi qu’à l’ensemble de son équipe qui nous ont proposé de réaliser cette interview. Merci à eux pour le temps accordé à cette interview, merci à Gustavo pour son implication dans la licence The Last of Us. Pour ne rien manquer de l’actualité de Naughty Dog, rejoignez-nous sur YouTube, Twitter, Instagram, Facebook, et Discord.
À très bientôt sur Naughty Dog Mag’ !