Édito | La violence envers les animaux dans les jeux vidéo

Alors que la saison 2 de la série The Last of Us (HBO) approche, le jeu original dont elle s’inspire continue de faire parler de lui très régulièrement. Quatre ans après sa sortie, nous nous interrogeons aujourd’hui quant à la place de la violence envers les animaux dans The Last of Us Part II, et dans les jeux vidéo de manière plus générale.

Attention, cet article comprend des spoilers majeurs à propos de The Last of Us Part I et The Last of Us Part II.

Sorti le 19 juin 2020, The Last of Us Part II a souvent été au cœur de discussions agitées. Parmi les sujets récurrents, figure la violence du titre, qui s’annonçait très importante dès le début de la communication. De fait, le trailer de la Paris Games Week 2017 notamment, diffusé à une heure de grande audience, avait beaucoup questionné tant sa brutalité était grande. Pour rappel, il s’agit de la bande-annonce présentant Abby, Lev, et Yara, et qui se déroule de nuit, dans une forêt de Seattle. Là, plusieurs Séraphites procèdent à des rites religieux, entre pendaisons et mutilations.

Le réalisme dans les graphismes et les expressions faciales, de même que la qualité du sound design rendaient cette séquence véritablement troublante. Peu après sa diffusion, la presse s’était emparée du sujet, en se demandant si Naughty Dog n’était pas allé trop loin cette fois-ci. Néanmoins, au milieu de toute cette agitation, il est un sujet qui semble moins avoir été abordé par les médias : celui de la violence envers les animaux.

Quelle place pour la violence envers les animaux dans les jeux vidéo ?
©Naughty Dog/SIE | Quelle place pour la violence envers les animaux dans les jeux vidéo ?

La violence envers les animaux dans The Last of Us Part II

Avant-propos

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à souligner un élément évident mais qu’il est important de rappeler : aucun fait de violence envers les animaux lors de la réalisation d’un jeu vidéo n’est tolérable. Le sujet ici abordé concerne spécifiquement la violence virtuelle qui est représentée dans les jeux vidéo. Bien heureusement, l’industrie vidéoludique semble épargnée de tels faits, contrairement au cinéma, particulièrement durant le XXe siècle. Il est important que les mentalités évoluent et rejettent toute forme de violence inutile, qui plus est pour la réalisation d’un produit de divertissement.

Des situations de violence envers les animaux dans Part II

Ce petit aparté étant terminé, passons directement au cas de The Last of Us Part II : quelles formes de violence envers les animaux sont présentes dans le jeu ? Si on compare avec d’autres titres, elles sont finalement relativement limitées, bien que marquantes. En effet, hormis quelques carcasses constituant les décors de cet univers post-apocalyptique, et la mort de Paillette en cinématique, un seul type de situations nous confronte à la violence envers les animaux de façon récurrente : les affrontements contre le Front de Libération de Washington (W.L.F).

Ellie doit régulièrement faire face à des chiens dans The Last of Us Part II.
© Naughty Dog/SIE | Ellie doit régulièrement faire face à des chiens dans The Last of Us Part II.

Cette faction militaire, qui contrôle toute une large partie de Seattle, possède notamment comme particularité d’employer des chiens dans ses missions. Ceux-ci permettent aux soldats à la fois de détecter des menaces potentielles lors des patrouilles, et d’attaquer des ennemis lors de combats rapprochés. Bien évidemment, dans The Last of Us Part II, nous sommes nous-mêmes, en tant qu’Ellie, un ennemi du W.L.F. Ainsi, nous sommes amenés à plusieurs reprises à nous battre contre des chiens, avec certaines animations assez violentes.

… qui sont en partie évitables

Soulignons néanmoins qu’en réalité, tous ces affrontements peuvent être évités. En effet, les Dogs ont conçu The Last of Us Part II pour qu’il soit possible de ne tuer aucun de ces chiens, quelle que soit la difficulté. Il suffit alors de développer ses compétences sur le jeu pour épargner nos gentils amis à quatre pattes ! La violence envers les animaux lors de ces séquences relève ainsi davantage du joueur que du jeu en lui-même.

Malgré tout, il existe également une situation qui nous confronte inévitablement à la mort brutale d’un animal dans Part II. À la fin du jour 3 avec Ellie, lorsque nous entrons dans l’aquarium de Seattle pour retrouver Abby, c’est en réalité sa chienne que nous affrontons : Alice. Au moyen d’un quick time event (QTE), Ellie poignarde ainsi la pauvre bête, et lui assène un coup de pied pour la repousser.

Alice connaît une fin violente et tragique dans The Last of Us Part II, et nous en sommes responsables.
© Natalie Lucht | Alice connaît une fin violente et tragique dans The Last of Us Part II, et nous en sommes responsables.

Une question peut alors légitimement se poser : quel est l’intérêt d’intégrer cette séquence ?

Une brutalité utile ?

Le message des Dogs

Pour rappel, The Last of Us Part II articule l’ensemble de son scénario autour du désir de vengeance, et du cycle de la haine. Le jeu nous amène ainsi à constater par nous-mêmes les conséquences d’une telle quête vaine de sens, qui n’apporte que douleur et désolation. La mort d’Alice n’est de fait pas une simple scène violente inutile, mais bien un élément s’intégrant dans le narratif global du jeu.

En effet, après avoir tué Alice en tant qu’Ellie, nous avons l’occasion de vivre les trois jours à Seattle sous les traits d’Abby. Nous pouvons ainsi, à de nombreuses reprises, vivre des moments de complicité avec la chienne, par exemple en lui lançant un jouet à couinement ou en la caressant. Tous ces moments agréables se voient alors marqués d’une forme de culpabilité récurrente. Alice sera morte dans quelques heures, et par notre faute en tant que joueur. C’est d’ailleurs ce que relève le game director Kurt Margenau dans le documentaire Grounded II: Making The Last of Us Part II :

Nous l’avons tuée, et puis il faut l’aimer en sachant qu’elle est déjà morte. Il y aura probablement des gens mécontents à ce sujet.

La volonté des Dogs de nous mettre face aux conséquences de nos actes est ainsi plus forte à ce moment qu’à aucun autre dans le jeu.

Notons également qu’Alice n’est pas la seule que nous pouvons retrouver à la fois avec Ellie et Abby. En effet, au jour 2 avec Ellie, un chien est présent dans la cour de l’hôpital. Il s’agit de Grizzly, le même chien avec lequel nous jouons à la balle au jour 1 d’Abby, dans la base du W.L.F. Pensez-y la prochaine fois que vous serez face à lui !

Abby et Grizzly dans The Last of Us Part II.
© Naughty Dog/SIE | Abby et Grizzly dans The Last of Us Part II.

La catharsis comme moyen de prévention

Pour mieux comprendre le sens de ce genre de scènes, éloignons-nous du jeu vidéo et adoptons une approche philosophique. En effet, il est un concept très intéressant du penseur grec Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) à ce propos : la catharsis. Dans son traité sur la Poétique, Aristote en parle comme ceci :

La tragédie (…) est une imitation faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions.

Le philosophe grec Aristote a développé le concept de catharsis.
© Terra Bellum | Le philosophe grec Aristote a développé le concept de catharsis.

En somme, comprenons que d’après la pensée aristotélicienne, la confrontation d’un être humain à des émotions fortes comme « la pitié et la crainte » le mènerait à une purgation de ses passions, c’est-à-dire de ses contraintes émotives. Finalement, en voyant de telles scènes de violence, nous serions moins enclins à reproduire des actes similaires dans la réalité.

S’il ne s’agit que d’un concept philosophique et non d’un champ médical avéré, il est tout à fait intéressant de considérer autrement la violence des œuvres de divertissement. La violence envers les animaux de The Last of Us Part II, si elle peut être gênante et désagréable pour le joueur, aurait finalement un rôle vertueux sur ce dernier.

Malgré tout, la considération de la catharsis n’inviterait-elle pas finalement à tout laisser passer ? À autoriser l’intégration d’éléments toujours plus violents au motif que cela pourrait être bénéfique ?

Des limites qui s’imposent

Tuer un chien, une ligne rouge ?

Lors du développement de The Last of Us Part II, la violence envers les animaux a été une problématique importante. Nous pouvons d’ailleurs bénéficier d’un aperçu de cela dans le documentaire Grounded II: Making The Last of Us Part II. Le co-créateur de la licence lui-même, Neil Druckmann, relève ce phénomène.

Tuer un chien a bouleversé les gens plus que toute autre chose dans le jeu, que de pendre des gens, que d’éviscérer des gens.

Un chien durant la motion capture pour The Last of Us Part II, avec Halley Gross, co-scénariste du jeu.
© Naughty Dog/SIE | Un chien durant la motion capture pour The Last of Us Part II, avec Halley Gross, co-scénariste du jeu.

Alors, comment expliquer que la violence soit plus tolérable à l’encontre d’êtres humains ? Anthony Newman, game director pour The Last of Us Part II, l’explique :

Il est plus acceptable de tuer des gens car ils sont tous là parce qu’ils choisissent d’être là, mais tous ces chiens ont été dressés pour faire exactement cela. Donc vous tuez une créature innocente. Ce sentiment d’inconfort est exactement ce que nous essayons d’explorer avec The Last of Us.

Des leviers sur lesquels jouer

Anthony Newman relève également des différences d’appréciation de la part des joueurs en fonction de l’aspect du chien.

Ironiquement, en les rendant plus réalistes, les gens se sentent plus à l’aise de les tuer. Nous avions une sorte de prototype artistique loufoque, un chien très rugueux. Nous avons trouvé ce chien maladroit qui n’avait pas de fourrure, les gens se sentaient vraiment mal de le tuer. Lorsque vous leur tiriez dessus, ils tombaient morts et poussaient un gémissement en guise de dernier souffle, alors nous avons essayé de vraiment atténuer la pitié de tous les chiens.

Certains critères physiques et comportementaux du chien peuvent davantage affecter le joueur que d'autres.
© Naughty Dog/SIE | Certains critères physiques et comportementaux du chien peuvent davantage affecter le joueur que d’autres.

Ainsi, aussi violent le message de The Last of Us Part II soit-il, des limites ont dû être fixées par les Dogs pour réduire le mal-être provoqué par la mort des chiens. Tous ces témoignages illustrent parfaitement la catharsis évoquée précédemment, mais également les lignes à ne pas franchir de la part des studios. Naughty Dog semble ici avoir trouvé le juste milieu pour proposer une expérience suffisamment dérangeante pour avoir un aspect pédagogique, tout en évitant de basculer dans le gore à outrance.

Un systématisme dérangeant

Malgré tout, il est un dernier point qui a tendance à me déranger avec la violence envers les animaux dans les jeux vidéo. Car oui, je m’éloigne ici de Naughty Dog pour prendre un peu de recul, et faire un état des lieux de l’industrie dans son ensemble. Ainsi, je constate qu’aujourd’hui, de plus en plus de licences en viennent à intégrer de la violence à l’encontre de nos amis à quatre pattes dans leurs titres, et ce, sans véritable raison.

Pour The Last of Us Part II, nous l’avons vu, cette violence sert au contraire à nous sensibiliser. Dans le premier The Last of Us d’ailleurs, nous avons une unique scène de chasse, impliquant la mort d’un lapin et d’un cerf. Dans ce cas précis, il n’est certes pas question de catharsis, mais ces séquences viennent faire évoluer le récit malgré tout, ainsi que le personnage d’Ellie. Nous sommes en plein hiver, la jeune fille meurt de faim, et fait la rencontre des cannibales.

Ellie chasse un cerf dans The Last of Us Part I.
© Naughty Dog/SIE | Ellie chasse un cerf dans The Last of Us Part I.

La chasse, un incontournable en 2024 ?

En revanche, les mécaniques de chasse deviennent aujourd’hui monnaie courante dans le jeu vidéo, et ce, sans intérêt apparent. Prenons par exemple Resident Evil Village, pour lequel je me suis questionné quant à l’utilité d’avoir intégré la chasse. Il n’y en avait jamais eu auparavant dans la série Resident Evil, sans que ce soit un problème. De plus, elle est totalement anecdotique dans le titre de 2021. N’y avait-il pas d’autres moyens d’intégrer les ressources à collecter dans cet escape game géant ? N’avons-nous pas là une forme de banalisation de la violence envers les animaux ? Comme si les tuer était quelque chose de simple, naturel, qui n’invite à aucun questionnement.

Mon interrogation à ce propos ne vient pas que de Resident Evil, mais d’autres licences également. Je pense par exemple à The Legend of Zelda, qui a pour la première fois introduit la chasse avec The Legend of Zelda: Breath of the Wild. Certes la formule de la licence a changé avec cet opus, mais des éléments de substitution auraient pu être imaginés, surtout dans un univers fantastique tel que l’est Hyrule.

La chasse dans Resident Evil Village n'apporte aucune plus-value à l'expérience.
© Capcom | La chasse dans Resident Evil Village n’apporte aucune plus-value à l’expérience.

Je ne dis pas que la chasse est à proscrire absolument des jeux vidéo, et j’entends bien qu’il s’agit d’une mécanique classique dans certaines licences (comme Far Cry par exemple). Néanmoins, je pense que l’ajout de cette possibilité à outrance n’est pas une bonne chose, car elle n’offre alors aucune plus-value réelle. Au contraire, elle légitime la chasse comme un divertissement tout à fait morbide et archaïque. Dans une société en constante évolution, la négligence de la défense des droits des animaux pose question.

Des pratiques qui interrogent

Puisque je viens d’évoquer Far Cry, j’en profite pour rappeler, comme déjà souligné précédemment, que des limites ne doivent pas être dépassées malgré tout. Très grand fan de la licence et particulièrement de son ambiance décalée, je déplore sincèrement l’ajout d’un mini-jeu mettant en scène des combats de coqs dans Far Cry 6. Nous sommes typiquement ici dans le cas d’une mécanique sans intérêt, qui normalise une pratique cruelle et choquante. Les animaux ne sont pas des jouets, et aucune coutume ne peut justifier cela.

Un mini-jeu dans Far Cry 6 met en scène des combats de coqs.
© Ubisoft | Un mini-jeu dans Far Cry 6 met en scène des combats de coqs.

Faire la part des choses

Concrètement, je pense que la violence envers les animaux dans les jeux vidéo n’est pas à bannir à tout prix. Elle pose globalement les mêmes questions que la violence contre les êtres humains, et doit être traitée avec prudence. Si elle peut servir le scénario ou présenter un intérêt dans le message véhiculé au joueur, son abondance peut en revanche avoir un effet normalisateur.

La recherche d’un juste milieu de la part des équipes de développement est donc essentielle. L’inclusion de toute forme de violence doit être pertinente, et non par défaut. Elle doit avoir un effet de sensibilisation, et non de banalisation. La violence à l’encontre des animaux n’est pas quelque chose de normale, et doit être combattue à tout prix. Elle ne peut et ne doit en aucun cas être une forme de loisir.

Je profite enfin de ce sujet publié un 1er août pour rappeler que « l’abandon d’un animal domestique ou d’un animal sauvage apprivoisé ou tenu en captivité, est puni de 3 ans de prison et de 45 000 € d’amende ». L’année dernière, la SPA a recensé 16 498 animaux abandonnés entre le 1er mai et le 31 août. Au total, 44 844 animaux abandonnés ou maltraités ont été pris en charge par la société en 2023. Ces chiffres sont de plus bien en deçà de la réalité, car de nombreuses autres associations que la SPA viennent en secours aux animaux. Ne faites pas de vos vacances une condamnation pour votre ami le plus fidèle.

#NonALAbandon
© La Ligue Des Animaux | #NonALAbandon

— Édito proposé par Arthur Daigremont.