Édito | Remake et Remaster chez Naughty Dog, quel intérêt ?
La tenue du PlayStation Showcase mercredi dernier a remis la possibilité d’un remaster de The Last of Us Part II au cœur des discussions. Huit mois après la sortie du remake du premier opus de la licence, les resorties de jeux font toujours débats tandis que les remaster et remake vont en se décuplant. Alors parlons-en.
Nous y sommes, le dernier dimanche du mois ! C’est donc l’heure de l’édito mensuel de Naughty Dog Mag’. On avait espérait vous parler des annonces exceptionnelles du PlayStation Showcase. Or, comme vous l’aurez remarqué, Naughty Dog et ses licence était absent de la conférence.
Maintenant je me suis remise de ce petit moment de déception, c’est l’occasion pour moi de revenir sur un sujet qui me tient à cœur : les remake et les remaster. Pour que vous sachiez d’où je parle, je peux vous dire que j’achète les uns, comme les autres, mais sans plus non plus.
En règle générale, j’achète un jeu remasterisé ou un remake lorsque je n’y ai pas joué sur la console précédente. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai découvert The Last of Us, via le Remastered, car je n’avais pas de PS3.
Mais, comme beaucoup de fans, il m’arrive d’acheter volontairement la nouvelle version d’un jeu lorsque j’y suis très attachée. C’est pourquoi j’ai craqué pour le remake The Last of Us Part I. Dernièrement, ça a aussi été le cas pour Resident Evil 4 (ainsi que Resident Evil 2, parce que Leon, mais pas le 3 que je connais moins par exemple).
Or, les remake et les remaster pullulent. C’est un phénomène qui n’est d’ailleurs pas propre au jeu vidéo. Et que ce soit en matière de séries, films ou jeux, le sujet fait débat. Alors j’ai envie, aujourd’hui, d’en profiter pour voir ce qu’impliquent ces réitérations dans le domaine du jeu vidéo.
Remake et Remaster, Kézako ?
Je parle, je parle ! Mais, avant tout, entendons-nous. Il faut bien distinguer remake et remaster. Même si le but peut se rejoindre, ce sont deux processus de travail différent.
Le remaster vise à donner un coup de neuf à un jeu sorti il y a plus ou moins longtemps. L’idée est de l’optimiser pour une nouvelle génération de console. Ce travail s’effectue aussi bien sur le plan esthétique, avec un affinage des graphismes et du son, que sur le plan technique afin que tout fonctionne de façon fluide, s’adapte parfois à des fonctionnalités qui n’étaient présentes auparavant, ou encore pour éviter les problèmes de framerate et de bugs.
Le remake ne vient pas corriger et affiner un jeu déjà existant et partant du même software. Il s’agit de le recréer entièrement en partant de zéro. Enfin, pas tout à fait “de zéro”. Les équipes profitent en fin de compte des précédentes réflexions scénaristiques, esthétiques et ludiques qui ont été conduites pour le jeu original afin de mener leur propre réflexion.
Alors certes, The Last of Us Part I est un remake absolument fidèle au matériau d’origine. Pour autant, le travail accompli est bien plus important que sur le remaster de 2014. Les modèles de personnages, les environnements, la photographie, tout a été reconstruit. Mais le mieux pour s’en faire une idée, c’est encore de comparer.
Aspect financier
Sortir un remaster ou un remake est une entreprise sécurisante économiquement parlant. Les studios prennent moins de risques à plancher sur un jeu qui a déjà conquis son public que de se lancer dans une nouvelle licence. Ça explique aussi que les suites et les reboot aient la cote. Le but, quand on sort un produit qui coûte des millions de dollars, ce n’est pas de perdre de l’argent. En ce sens, autant investir dans des valeurs sûres.
Il faut dire que l’argent, c’est un peu le nerf de la guerre. Les jeux coûtent (très) cher à produire. En plus de s’assurer les ventes avec une licence connue, c’est aussi ne pas repartir de rien. Les remake et, a fortiori, les remaster permettent de réduire les frais. Et pour peu qu’une suite soit en préparation, ils sont l’occasion de préparer le terrain auprès du public, en étant généralement vendu au prix standard du neuf.
L’incompréhension du public est logique : pourquoi payer au même prix un tout nouveau jeu et un remake ou un remaster ? D’aucuns voudraient que, parce qu’il y a prétendument moins de travail que sur un nouveau jeu, le prix de ces derniers devrait être moins élevé.
Mais cet argument néglige les moyens investis, le temps, l’énergie, le savoir-faire… Et si on pousse au bout cet argument, alors les suites ne devraient-elles pas coûter moins cher à l’achat que les nouvelles licences dès lors qu’une partie des assets et du travail conceptuel a déjà été fait auparavant ?
En réalité, ce qui pose problème, ce n’est pas le prix des remake et remaster mais celui des des jeux en général. On le remarque bien, les prix augmentent à chaque nouvelle génération de consoles. Et, évidemment, des mécanismes nous encouragent à acheter la nouvelle version d’un jeu plutôt que celle d’origine, quand bien même cette dernière est compatible avec le hardware qui vient de sortir.
En travaillant chez Naughty Dog Mag’, j’ai eu de nombreux retours de fans qui attendaient la version PS5 de The Last of Us Part II. Comment leur en vouloir ? Ça fait plusieurs générations que les remaster sont un automatisme pour les studios. Avec eux s’est imposée l’idée de jouer à la “meilleure version” du jeu. Alors il y a un public qui n’a pas acheté le jeu, attendant son arrivée potentielle sur PS5, et ce malgré la sortie du patch performance qui être jugé insuffisant.
Enfin, il y a le packaging et le rangement des jeux. Que ce soit pour acheter en boutique ou en ligne, les jeux sont organisés selon leur support. Dès lors, allez expliquer au grand public, moins au fait de certains détails techniques, que le rayon PS4 est entièrement compatible avec la console PS5. Quand on achète une nouvelle console, on regarde plus volontiers dans le rayon qui lui est dédié…
Financièrement, Naughty Dog et Sony avaient donc tout intérêt à ressortir des jeux The Last of Us ou Uncharted sur PS5, dans des versions optimisées. Les personnes qui viennent d’entrer dans l’écosystème PlayStation vont ainsi découvrir des licences auxquelles elles n’auraient peut-être pas toucher autrement. Dans le même temps, les fans seront, pour une partie, heureux de racheter une œuvre pour laquelle ils estiment que l’investissement vaut la peine.
Aspect émotionnel
Comme je l’évoquais au départ, je craque facilement pour un remake d’un jeu si j’ai adoré un jeu. C’est paradoxal, puisque je connais déjà l’histoire et les personnages… Mais parfois, on peut avoir des surprises, comme avec le Resident Evil 4 de 2023 qui sait proposer une expérience différente du jeu d’origine. Dans le cas de The Last of Us Part I, pas de prise de risque, c’est exactement le même jeu. Néanmoins, revivre l’aventure avec un gameplay modernisé et des graphismes aussi poussés est encore plus intense.
J’en viens au constat que la nostalgie est intrinsèquement liée au succès des remake. C’est en partie ce qui assure leur succès commercial. Bien sûr, on peut s’interroger sur la force de nostalgie d’un jeu aussi récent (2013) que The Last of Us. Par rapport à Resident Evil 4 (2005) et ses prédécesseurs, ou encore à des jeux qui remontent aux prémisses de la 3D ou plus loin, l’impact est forcément moindre.
Pour autant, le plaisir d’un fan est bien présent, même après si “peu” de temps. En fait, son plaisir démarre avant même le fait de jouer. Investir dans quelque chose qui nous tient à cœur est une source de contentement. Il ne manque plus qu’un esprit collectionneur pour être ravi d’ajouter la moindre pièce en lien avec la licence qu’on aime à sa collection !
Alors, forcément, la nostalgie s’applique moins au remaster, mais celui-cirentrera dans cette collection. Et puis, au-delà ce fétichisme propre à un type de public, il a l’avantage de prolonger la durée de vie d’un jeu sur le marché. Quand une œuvre compte, n’est-il pas souhaitable de continuer à la voir sur les étals ? Sans remaster, l’œuvre restera peut-être culte, mais tombera dans moins en moins de mains…
Aspect professionnel
Vous ne trouvez toujours pas de réel intérêt à un remake ou un remaster ? Il reste alors un point essentiel : les remake et remaster sont une opportunité de travailler, d’apprendre, de progresser pour les professionnels du secteur.
Par exemple, Naughty Dog a connu plusieurs vagues de départs et d’arrivées au sein de ses équipes. Le crunch n’y est évidemment pas pour rien. Le studio s’attèle désormais à revoir son organisation pour changer la donne. Mais l’accueil de sang neuf signifie qu’il faut que les nouvelles recrues soit au fait des standards du studio.
Dès lors, quoi de mieux que de travailler sur un remake ou un remaster ? D’un côté, les nouveaux junior ont l’occasion d’apprendre en travaillant à partir d’un jeu qui existe déjà. Ils ont ainsi un cadre plus solide et s’enrichissent directement du travail de leurs prédécesseurs. Les senior, quant à eux, ont déjà l’expérience derrière eux. Mais grâce à ce type de projet, c’est avec les méthodes de travail et le style de Naughty Dog qu’ils se familiarisent.
Qui plus est, des studios se sont spécialisés dans les portages et remaster. C’est le cas notamment de Bluepoint, à qui ont la remasterision des premiers jeux Uncharted via la Nathan Drake Collection. Cette expertise souligne le savoir-faire particulier que le processus requière. Alors remettre en cause l’intérêt des remaster et remake, c’est remettre en question l’existence-même de ce genre de studio.
D’accord pour les remake/remaster, tant que la qualité est présente
Bien sûr, je n’irai pas jusqu’à dire que toute initiative de remake et de remaster est à applaudir. Comme beaucoup, j’aurais préféré un remake des premiers Uncharted plutôt que de The Last of Us. Par la force des choses, leur aspect technique est désuet. Mais Sony a décidé que c’était un projet trop coûteux ambitieux. Nous n’aurons peut-être jamais droit à ce remake.
Dans le cas de The Last of Us Part II, la problématique est similaire. Le jeu était l’un des plus beaux de la PS4, si bien qu’il ne fait pas tâche sur PS5. La technique tient elle aussi très bien la route. Mais malgré le patch performance, le jeu ne profite pas de toutes les caractéristiques de la nouvelle console.
Et maintenant que Part I , le remake, existe sur PS5, la logique veut que Part II ait droit à son propre portage remasterisé afin d’assurer la continuité entre les deux opus. Autrement, une partie du public du premier opus dans sa version nouvelle génération n’achètera jamais la suite.
Certes, on en revient à une dimension financière. Mais le jeu vidéo est une industrie profondément capitaliste, que voulez-vous ? Pour ma part, j’aime l’idée que des œuvres continuent d’être modernisées et accessibles plutôt que de les voir tomber dans une forme d’oubli. Qu’un jeu reste dans les mémoires, dans le patrimoine, c’est important. Mais un jeu qui n’est pas pratiqué peut-il seulement être pleinement apprécié et compris ?
— Édito proposé par Aur.