The Last of Us HBO | Retour sur l’épisode 3, un exemple de narration LGBTQ+ à la télévision

La première saison de la série The Last of Us (HBO) s’est conclue le 13 mars dernier. Elle nous a offert des moments de télévision mémorables, parmi lesquels l’épisode 3. Pour Gay Times, une partie de l’équipe revient sur la création de cet épisode centré sur les personnages de Bill et Frank.

Le 13 mars dernier, nous disions au revoir à Joel et Ellie dans l’ultime épisode de la saison 1 de The Last of Us, une adaptation HBO du jeu vidéo éponyme. Plus spécialement, aujourd’hui marque les deux mois de la sortie de l’épisode 3, particulièrement apprécié par la critique en amont de la diffusion.

Marquant une pause des plus poétiques dans le périple de nos deux héros, cet épisode décale sa focale pour se concentrer autour d’un personnage secondaire rencontré dans le jeu : Bill, un survivaliste paranoïaque et renfrogné qui peine à faire confiance à autrui.

Plutôt que de transposer la séquence très dynamique et périlleuse de l’œuvre originale, Craig Mazin et Neil Druckmann, les showrunners et scénaristes de la série, ont opté pour une complète réécriture. Ainsi, l’épisode 3, intitulé “Long Long Time”, suit le parcours de vie de Bill et de son compagnon, Frank.

Photo de Craig Mazin et Neil Druckmann, souriants, à l'occasion de la CCXP 222 pour la promotiond de la série The Last of Us (HBO).
Craig Mazin et Neil Druckmann au CCXP 2022 pour la promotion de The Last of Us (HBO).

Reçus par Gay Times, le réalisateur Peter Hoar, le directeur de la photographie Eben Bolter et les comédiens Nick Offerman et Murray Bartlett, ont pu discuter de l’importance de cet épisode en matière d’histoire LGBTQ+ à la télévision, ainsi que pour les genres fictionnels que sont l’action, le post-apocalyptique et l’horreur.

“Long Long Time”, une réussite d’authenticité

Comme le résume Peter Hoar, l’histoire de ce troisième épisode est celle de « deux personnes qui se trouvent l’une l’autre », tout simplement. Dans le même temps, il marque une avancée non négligeable dans sa peinture d’un couple d’hommes.

L’audience peu sensibilisée au sujet pourra apprécier ou non l’épisode pour les raisons qui sont les siennes. Mais ce qu’elle ne percevra peut-être pas, c’est pourquoi il compte dans l’histoire des représentations LGBTQ+ dans les œuvres audiovisuelles. Voyons ça plus en détail.

Un schéma perpétuel

Comme le rappelle le journaliste Sam Damshenas dans son interview, la licence The Last of Us se situe au croisement de l’action, de l’horreur et du post-apocalyptique. Or, ce sont « des genres largement associés à la masculinité et à l’hétéronormativité ». Or, les personnages homosexuels peinent à s’y faire une place à l’écran et à y connaître une fin heureuse, surtout en couple.

D’ailleurs, le jeu The Last of Us ne déroge d’ailleurs pas au trope « bury your gays » (« enterrez vos homosexuels »). Celui-ci désigne le systématisme avec lequel les personnages homosexuels meurent dans les œuvres de fiction. De fait, Bill finit seul après la fuite puis la mort de son compagnon, Frank. Ellie connaît d’ailleurs un sort similaire dans le DLC Left Behind.

Gros plan sur le visage de Bill dans The Last of Us Part I. Dans une pièce sombre, la lumière extérieur perce légèrement à travers la fenêtre, éclairant le visage barbu du personnage.
Dans The Last of Us, Bill habitait seul la ville de Lincoln avec Frank, son « partenaire ».

Pour autant, ces destins ne sont pas spécialement problématiques dans le cas de cette licence. Cela est simplement dû au fait qu’ils ne font pas exception. Les personnages connaissent un traitement relativement similaire à celui de leurs camarades hétérosexuels.

Renverser le trope

Malgré tout, la série a choisi d’emprunter une autre voie concernant Bill et Frank. C’est alors un petit bout d’histoire qui s’écrit pour les représentations queer à la télévision. Damshenas l’explique clairement :

Bill et Frank sont aussi capables que leurs homologues hétérosexuels de survivre (peut-être même plus, d’où leur longue et illustre vie), leurs sexualités ne sont pas définies et aucun d’entre eux ne s’embarque dans un voyage de découverte de soi. Ces histoires sont toujours importantes, bien sûr, mais dans un monde de cliqueurs, de colosses et ainsi de suite, tout le monde s’en moque.

Deux points sont à noter ici. Tout d’abord, Bill et Frank (sur)vivent d’eux-mêmes et ensemble pendant de longues années, ayant même le choix de leur mort. Ce faisant, nos personnages s’émancipent du trope tragique habituel. Plus encore, la série s’empare d’un autre sujet d’actualité en offrant une fin digne et volontaire pour le couple.

Plan tiré de l'épisode 3 de la série The Last of Us (HBO). Bill et Frank, tous les deux âgés désormais, sont assis à la table de leur salon et très bien vêtus. La table, mise pour le dîner, est notamment éclairée par trois chandelles. Bill pose sa main sur celle de Frank.
Bill et Frank s’offrent un ultime dîner de chef dans la série The Last of Us (HBO).

Vers une représentation simplifiée

L’autre point notable concerne les représentations des personnages en elles-mêmes. Tout ce que la série met en scène, ce sont deux personnes qui tombent amoureuses l’une de l’autre, sans étiquette, ni questionnement intempestif.

Dans sa carrière, Peter Hoar a de nombreuses fois exploré la question des représentations LGBTQ+. Il a notamment travaillé sur les séries The Umbrella Academy (Netflix) et It’s a Sin (Channel 4), cette dernière lui ayant valu rien de moins qu’un BAFTA. Il a ainsi réfléchi plus d’une fois sur le sujet, arrivant au constat qu’on peut raconter les histoires des personnages homosexuels différemment aujourd’hui.

The Last of Us HBO - Frank et Bill
Les choses simples de la vie alimentent aussi l’amour que Frank et Bill se portent dans la série The Last of Us (HBO).

Ce troisième épisode de The Last of Us s’y attèle justement. Il souligne l’absence de réponse absolue sur l’orientation de Bill. Le personnage se contente d’être sans qu’une surcouche d’interrogations ne parasite son attitude. Pour le comprendre, il suffit de l’observer, tel qu’il est.

Bill est-il homosexuel ? Est-il simplement Bill ? Cela a-t-il de l’importance ? Les relations masculines doivent-elles être définies en termes binaires ? Bien sûr que non.

Aller contre les idées reçues

Dans ce même ordre d’idée, Murray Bartlett, qui incarne Franck, explique combien il est important de « briser les stéréotypes et de faire réfléchir les gens d’une manière différente ». Il estime que l’épisode est d’autant plus « grandiose » qu’il met en scène un couple d’hommes loin d’être stéréotypé. Il y voit quelque chose d’« unique » en matière de représentations homosexuelles à l’écran.

Son partenaire de jeu, Nick Offerman, trouve tout aussi important de déconstruire les clichés. Il partage son expérience personnelle : il tient un atelier de menuiserie à Los Angeles dans lequel il emploie cinq employés. Quatre d’entre eux sont en fait des femmes ; il se trouve que la première a avoir dirigé son atelier était lesbienne mais, surtout, très dynamique, travaillant ainsi plus que lui.

Les gens répondent souvent, à cause des stéréotypes, « Oh, des femmes qui utilisent des outils ? C’est surprenant », et c’est tellement stupide.

C’est une des raisons pour lesquelles il se dit heureux de contribuer à des projets qui aident à faire bouger les mentalités. Il aime d’autant plus montrer que les femmes peuvent faire des activités associées aux hommes et inversement. Plus encore, cela donne un sens supplémentaire à son métier.

En matière d’action et d’horreur, qui sont des genres très populistes, si nous pouvons continuer à faire tomber ces murs, c’est encore mieux. C’est une façon bien plus bénéfique de faire ce que nous faisons pour gagner notre vie que de simplement raconter ou déchirer de bonnes histoires.

Bill, interprété par Nick Offerman, est assis devant le piano, s'apprêtant à jouer avec une émotion fragile perceptible sur son visage.
Bill interprète au piano la chanson “Long Long Time” de Linda Ronstadt dans l’épisode 3 de The Last of Us (HBO).

Et dire que Nick Offerman a failli passer à côté de la série ! Toujours acculé par un planning des plus chargés, c’est Megan Mullally, sa femme, qui a insisté pour qu’il reprenne le rôle de Bill. Encore une preuve que le comédien est loin d’être un macho stéréotypé.

Un message d’amour

Même si Offerman n’est pas homosexuel, Hoar rapporte combien cela comptait pour lui de proposer une prestation respectueuse de Bill et des personnes LGBTQ+. Ce n’était d’ailleurs pas le seul, toute l’équipe voulait rendre hommage à ce personnage et à cette œuvre qu’est The Last of Us.

Mais avant tout, Bartlett et Hoar insistent sur le fait que cet épisode 3 aborde la connexion entre deux personnes. Le réalisateur précise que c’est quelque chose d’« universel à bien des égards ». Ainsi, on se concentre davantage sur les émotions, et quelles émotions… L’acteur, de son côté, révèle que l’équipe de tournage ne pouvait retenir ses larmes durant le premier jour de tournage de l’épisode.

Dans leur salon, Frank et Bill, désormais âgés, se tiennent la main. Le premier est assis dans son fauteuil roulant, le deuxième dans le canapé. Bill retient ses larmes après une annonce triste et émouvante de la part de Frank.
Frank et Bill ont la chance de vieillir ensemble dans la série The Last of Us (HBO).

Nul doute que l’audience aura elle aussi été touchée en plein cœur par cet épisode. Le dénouement du couple mêle émotion et beauté pure, dans la droite lignée de ce que nous propose la licence The Last of Us depuis 2013.

Une connexion au-delà de l’écran

Bien sûr, la connexion des personnages à l’écran n’aurait pas été possible sans l’alchimie des deux comédiens. Eben Bolter, directeur de la photographie sur cet épisode, confie la « vulnérabilité » qu’il a perçu chez Offerman tandis que le Bartlett le guidait, aussi bien en tant que personnage que dans le jeu d’acteur. L’interprète de Frank le rejoint sur ce point :

D’une certaine manière, c’est un dur à cuire, mais il est aussi incroyablement sensible en tant que personne et en tant qu’acteur. L’alchimie entre nous s’est produite très rapidement.

D’ailleurs, Bartlett dit avoir perçu en Offerman le plaisir de composer pour un rôle qui s’éloigne de ceux qu’on lui confie d’ordinaire. Plus encore, les deux comédiens se sont sentis investis d’une responsabilité pour servir au mieux la « magie » du scénario, pour reprendre la formule de Bartlett.

Toute l’équipe semble s’est comprise sur la direction prise par la série et, surtout, l’épisode 3. Hoar estime que le fait de présenter des histoires queer positives dans des programmes qui ne sont pas estampillés “LGBTQIA+” contribue à éduquer les consciences. Il aimerait que les publics qui ne sont pas habitués à ce type de récit « ouvrent leur esprit » quant aux « identités non-traditionnelles ».

Certes, la série emprunte un chemin différent dans l’épisode 3. Néanmoins, elle se montre fidèle à l’esprit de la licence. Cette dernière est assurément la plus progressiste de Naughty Dog depuis le premier opus. Cela concerne aussi bien les représentations LGBTQ+ que des masculinités et des féminités, ou des identités en général.

Plan americain sur Marlene (Merlde Dandridge) et Kim Tembo (Natasha Mumba) pointant toutes deux leur pistolet vers quelqu'un hors-champ, du côté de la caméra, dans le premier épisode de la saison 1 de la série The Last of Us (HBO).
Dans les jeux comme dans la série The Last of Us, les femmes occupent des positions de pouvoir, à l’image de Marlene, cheffe des Lucioles.

Désormais, nous attendons de voir comment la saison 2 s’en tirera. Neil Druckmann assure en tout cas que ce sera du grand spectacle. Nous vous tiendrons au courant des nouvelles informations à venir, sur la série et la licence The Last of Us. Alors suivez-nous sans attendre sur Twitter, Instagram, Facebook et Discord.