The Last of Us Part II | Naughty Dog a dépensé 220 millions de dollars pour développer la suite des aventures d’Ellie et Joel

220 millions, c’est ce qu’aurait coûté le développement de The Last of Us Part II d’après les documents fournis par Sony à la Federal Trade Commission dans le cadre du procès concernant le rachat d’Activision-Blizzard par Microsoft.

C’est l’affaire juridique qui enflamme la sphère vidéoludique depuis des mois. Le rachat d’Activion Blizzard par Microsoft pour 69 milliards est scruté par tous les acteurs du secteur. De fait, la Federal Trade Commission (FTC) tente de bloquer cette acquisition qu’elle juge incompatible avec la loi antitrust aux États-Unis.

Image promotionnelle affichant les principales licences d'Activision Blizzard.
Microsoft met en avant les principales licences d’Activision Blizzard sur Xbox.

Il se trouve que ce procès dépasse ses trois principaux concernés, puisque les intervenants invités à évaluer si, oui ou non, ce rachat mettrait en danger l’équilibre concurrentiel entre les firmes du secteur, fournissent des documents pour appuyer leurs arguments.

En tant que principal concurrent de Microsoft grâce à ses filiales Sony Interactive Entertainment (SIE) et PlayStation, Sony est évidemment la quatrième instance au cœur de l’affaire. Il se trouve que les déclarations de la firme viennent d’être rendues publics. Or, un manque d’attention de la part des rédacteurs ont permis de découvrir les coûts de financement alloués par Sony au développement de Horizon Forbidden West et The Last of Us Part II.

220 millions, qu’est-ce que ça représente ?

Les coûts de développement des blockbusters vidéoludiques rivalisent de plus en plus avec ceux des blockbusters cinématographiques. Sony ajoute donc une nouvelle preuve, s’il en fallait, avec la révélation du budget alloué à deux de ses exclusivités-phares :

  • Horizon Forbidden West a coûté 212 millions de dollars sur cinq ans, avec plus de 300 employé·es à temps plein ;
  • The Last of Us Part II a coûté 220 millions de dollars pour six ans de développement et 200 employé·es à temps plein.
Extrait d'un document textuel de Sony. On peut y lire le budget alloué au développement de The Last of Us Part II.
Le mauvais caviardage d’un document officiel de Sony transmis au procès de Microsoft. On y lit des informations qui devaient être censurées.

Bien qu’on commence à s’habituer aux coûts de développements exponentiels, ces chiffres surprennent les observateurs. Jusqu’à présent, les coûts de développement les plus élevés s’approchant des 200 millions faisaient plutôt figure d’exception. Parmi les jeux qui auraient coûté le plus cher*, on retrouve :

Artwork de Cyberpunk 2077 (2020). Il s'agit d'un portrait de la version masculine de V, le personnage principal. Il lève sa main droite, dans laquelle il tient un pistolet. Il regarde sur sa gauche, où on peut lire le titre du jeu sur un fond jaune.
Artwork de Cyberpunk 2077 (2020).

À lui seul, le développement en interne – les intervenant·es externes n’étant probablement pas compris dans le calcul – de The Last of Us Part II dépasse donc la plupart des budgets connus au sein de l’industrie vidéoludique avec ses 220 millions de dollars.

Coût de développement est même plus élevé que les sommes parfois investies dans l’acquisition de studios. Par exemple, Focus Entertainment avait racheté Dovetail, petit studio britannique spécialisé dans les jeux AA, pour environ 40 millions d’euros. À plus haute échelle, Sony faisait l’acquisition d’Insomniac Games, le studio derrière Marvel’s Spider-Man à l’effectif de plus de 500 employé·es, pour 229 millions de dollars en 2019. (Eh oui, les 70 milliards mis sur la table par Microsoft sont un record inédit)

Combien The Last of Us Part II a-t-il rapporté ?

Face à de telles sommes, on se demande combien The Last of Us Part II a pu rapporter. Malheureusement, nous n’avons pas connaissance des chiffres précis des ventes. Cependant, nous pouvons nous adonner à quelques projections hypothétiques en nous basant sur les éléments que nous avons en main.

En juin 2022, Neil Druckmann annonçait que ce second opus s’était écoulé à plus de 10 millions de copies, dont 4 millions les deux premiers jours de sa sortie, un record alors. Dès lors, la majorité des achats sur ces deux jours a été faite au prix fort de 69,99 €, sans compter les éditions spéciales ou collector, qui compenseraient les achats à prix réduit. Dès lors, Part II aurait rapporté environ 280 millions d’euros à son lancement.

Aujourd’hui, l’édition standard du jeu coûte 39,99 € au prix du neuf. Part II a, en plus, connu de nombreuses périodes de promotion, permettant de se le procurer parfois à seulement 10 €. On ne peut évidemment pas déterminer selon les prix à quelle proportion il s’est vendu.

Néanmoins, si nous prenons une valeur moyenne de 20 € pour les 6 millions de copies écoulées entre 2020 et 2022, The Last of Us Part II pourrait avoir rapporté 120 millions d’euros supplémentaires, soit environ 400 millions en tout, au minimum.

Or, 2023 a vu le titre revenir sur le devant de la scène. Les ventes des jeux The Last of Us ont explosé en début d’année grâce à la sortie de la série adaptée par HBO. Part II était même l’un des jeux les plus téléchargés sur le PlayStation Store en avril dernier. Fort est à parier que quelques dizaines de millions sont à ajouter à ce total.

The Last of Us Part II est-il rentable ?

Se pose évidemment la question de la rentabilité d’un titre qui coûterait au minimum 400 millions de dollars à produire et à commercialiser. En nous appuyant sur les chiffres de vente de Part II, on peut estimer le coût de développement à 220 millions de dollars remboursé en deux ans. Mais cela est-il suffisant ?

Certes, le développement d’un jeu est la partie qui demande le plus de temps et d’effort. Pour autant, il n’occupe généralement pas la plus grande part du plan budgétaire global. Le budget de Call of Duty: Modern Warfare 2 (2009) en est un parfait exemple. Le développement aurait coûté entre 40 et 50 millions de dollars. En revanche, le budget de lancement, qui comprend le marketing ainsi que la distribution du jeu, grimpe à 200 millions.

Artwork de Call of Duty: Modern Warfare 2 (2009). On y voit un soldat, marchant vers l'objectif, debout. Il tient un fusil d'une main et regarde sur sa droite. Des explosions faisant voler la poussière éclatent derrière lui.
Artwork de Call of Duty: Modern Warfare 2 (2009).

De fait, les données recueillies mettent en évidence l’importance des coûts marketing. Ceux-ci regroupent toutes les dépenses liées à la promotion du jeu : communication externe, relations presse, publicités, personnel dédié, etc. Dès lors, ces frais égalent souvent ceux consacrés au développement. Dès lors, on peut estimer un budget total minimal compris entre 440 et 500 millions de dollars pour The Last of Us Part II.

Les performances commerciales du jeu de Naughty Dog sont probablement un peu en-deçà des espérances du studio et de PlayStation. Cela expliquerait notamment les promotions régulières dont il bénéficie sur le PS Store.

Comment expliquer les ventes de The Last of Us Part II ?

Malgré tout, The Last of Us Part II ne démérite pas. Le titre n’est pas sorti dans une fenêtre qui lui était extrêmement favorable, et ce à plusieurs titres. Tout d’abord, il est paru sept ans après le premier opus ; on ne peut douter qu’une partie du public aura oublié le premier opus entre temps, ce qui n’encourage pas à acheter une suite directe.

Ensuite, Part II est sorti cinq mois avant la PlayStation 5, ce qui est dissuasif pour les acheteurs. Bien qu’il soit parfaitement compatible avec la nouvelle génération de console de Sony, bénéficiant en plus d’un patch de performance, le grand public, moins renseigné, est généralement réticent à investir dans un produit qu’il ne pense pas fait pour sa console. De même, de nombreux fans qui attendent cette suite espèrent une version remasterisée pour la PS5.

Patch TLOU2 (PS5 60 FPS) et visage d'Ellie
Le patch performance pour la PS5 de The Last of Us Part II permet notamment de jouer en 60 FPS.

Enfin, le jeu en lui-même a divisé. Il y a d’une part le review bombing** qu’il a subit. De fait, des gens, avançant notamment des arguments misogynies et LGBTphobes, s’étaient regroupés en ligne pour faire baisser drastiquement la note du jeu sur différents sites. D’autre part, il s’adresse à un public plus restreint. De fait, Naughty Dog n’a pas caché que cette suite était plus sombre et plus violente que le premier opus, ce qui n’a pu que laisser une partie des fans en retrait.

En somme, The Last of Us Part II ne démérite pas. Pour autant, il va lui falloir poursuivre avec un bon rythme sur la durée pour être rentable prochainement. Car, c’est aussi là l’enjeu de produire à de tels coûts : il faut pouvoir payer ses employé·es, ses intervenant·es externes mais aussi financer le projet suivant.

Qu’est-ce que cette affaire nous dit de l’industrie ?

Les chiffres dévoilés étonnent à plus d’un titre. Il faut dire que Part II avance un budget supérieur à Forbidden West. Pourtant, on aurait pu s’attendre à ce que soit le contraire étant donné que le jeu de Guerrilla Games est un open-world plutôt exigeant en termes de ressources.

Mais, c’est sur le plan économique que certain·es professionnel·les du secteur réagissent. Tout d’abord, Lisette Titre-Montgomery, connue pour avoir notamment travaillé sur Psychonauts 2 et Les Sims 4, met en garde contre la durabilité de telles pratiques.

220 millions d’euros pour 200 développeurs sur 6 ans. Avant de récupérer le moindre centime.

Des équipes de jeu de cette taille pendant si longtemps, ce n’est PAS. VIABLE.

La directrice artistique et co-fondatrice de Cornerstone Interactive Studios pointe du doigt un autre élément. De fait, elle souligne l’absence de retour sur investissement pendant la durée du développement d’un jeu. Dès lors, si un titre met trop longtemps à sortir, il peut coûter la vie d’un studio.

Fort heureusement, les Dogs peuvent conter sur les ressources issues de leurs précédentes productions. De même, ils s’adonnent désormais aux adaptations avec la série The Last of Us et le film Uncharted. La réussite de tels projets est à la fois bénéfique sur le plan financier et l’ouverture à un public plus large.

Néanmoins, le manque de rentabilité évident de TLOU2 à ce jour et le prolongement du développement du standalone multijoueur dans l’univers de ladite licence interroge la santé financière du studio. Or, nous remarquions il y a un mois que les Dogs recrutaient du personnel aux finances. Depuis, les deux annonces ne semblent toujours pas pourvues, car toujours en ligne sur le site du studio.

Concept art du standalone multijoueur The Last of Us. Dans une ville que nous devinons être San Francisco grâce au pont au loin, deux jeunes hommes se battent avec des armes à feu du haut d'un balcon tandis que la ville est en feu.
Premier concept art officiel du spin-off multijoueur dans l’univers de The Last of Us.

Se prémunir du crunch

En outre, ces réactions sur les réseaux sociaux soulevent un dernier enjeu financier : les salaires. Robert Morrison, animateur chez Bend Studio ayant précédemment travaillé sur The Last of Us Part I, justifie en un calcul de tels coûts de développement.

Pourquoi les grands jeux coûtent-ils si cher à produire ?

Un calcul rapide
100 000 dollars de salaire en moyenne [par an, ndlr] 400 personnes
5 ans
$200,000,000

Un jeu en développement, c’est un coût humain non-négligeable. Alors, à long terme, la rémunération des équipes pèse forcément sur le budget général. Cependant, on notera que le secteur du jeu vidéo avance des salaires relativement bas en comparaison d’autres secteurs. C’est en tout cas ce que dénonce Pride Zexu sur Twitter, l’actuel producteur de Marathon chez Bungie.

Je vois beaucoup de gens dire que les développeurs ne méritent pas de gagner autant.
Presque tous ceux qui travaillent dans le domaine des jeux vidéo subissent une baisse de salaire. Si nous travaillions dans d’autres domaines des technologies, nous gagnerions beaucoup plus.
J’ai connu beaucoup de développeurs qui ont quitté les jeux pour travailler dans d’autres domaines technologiques et qui gagnent maintenant beaucoup plus.

Nous en venons inévitablement à la question du crunch. Le développement d’un jeu prend du temps, mais plus il se prolonge, plus il coûtera cher. Dès lors, tenir ses délais un enjeu essentiel. C’est là que les abus peuvent s’amplifier, les employé·es étant encouragé·es à travailler davantage pour respecter son agenda. Les équipes de The Last of Us Part II en ont largement fait les frais.

Dès lors, nous espérons que les nouvelles méthodes de travail mises en place par Neil Druckmann et Eval Wells porteront leur fruits. À force d’un management en demi-teinte, le studio ne pourra pas encaisser un renouvellement constant de ses effectifs. Et ces dernières années, nous en avons vu des studios fermer chez PlayStation.

Photo de Neil Druckmann et Evan Wells.
Neil Druckmann (à gauche) et Evan Wells (à droite), les co-présidents de Naughty Dog, aux Game Awards 2021. © Mintaha Neslihan Eroglu.

Pas d’inquiétude néanmoins. Naughty Dog a la totale confiance de Sony et de ses différentes filiales. Celle-ci n’a pu qu’être rafermie par les audiences records de la série The Last of Us. En outre, le studio devrait continuer à surfer sur le succès décuplé de la licence encore quelque temps. Nous ne manquerons donc pas de suivre l’actualité des Dogs. Alors, pour ne rien manquer, retrouvez-nous sur Twitter, Instagram, Facebook et Discord.


*Les comparaisons avancées s’appuient sur les chiffres connus ou des estimations. La majorité des budgets alloués au développement et à la commercialisation d’un jeu vidéo est confidentielle.

**Le review bombing est une pratique qui consiste à “bombarder” de notes un site permettant d’évaluer une œuvre, un service, etc. Cette pratique vise à gonfler ou diminuer artificiellement la moyenne globale. Le groupe a l’origine du déchaînement s’organise en ligne pour envoyer un maximum de notes négatives ou positives selon la dynamique choisie.